Par Daouda Mbouobouo, Ecrivain-Juriste

 

Ce n’est plus un secret de polichinelle que le sous-secteur de la culture dépérit à vue d’œil de jour en jour au Cameroun. Un secteur jadis florissant, pourtant si riche et divers. La vitrine d’un pays, le baromètre de la vitalité d’un peuple. Un boulevard d’une vitalité certaine qu’on peut lire et apprécier à travers ses richesses patrimoniales, artistiques et culturelles du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Un patrimoine réel mais alors hors du commun qui ne demande pourtant qu’à être valorisé. Malheureusement, la plupart de ceux qui sont en charge de la gestion au quotidien de ce sous-secteur névralgique manquent cruellement d’étoffe, d’entrain, de conviction pour accompagner les acteurs culturels qui n’en demandent pas moins. On se résout même à penser à une malédiction dans ce domaine car comment comprendre qu’avec tous ses atouts, le Cameroun en soit encore là, à piétiner voire mendier ce qu’il possède déjà. L’image d’un continent assis sur son or mais étranger à tout ce qui s’y passe, nous froisse étonnement. Voici tout un salon du livre qui est organisé dans un pays, et comme d’habitude il faut être dans les réseaux pour être invité. Très rapidement on passe des coups de fil aux copains car c’est l’occasion de justifier l’utilisation du budget alloué. Aucun travail de sape pour recenser et promouvoir les auteurs locaux d’abord, qui entretiennent d’ailleurs la flamme littéraire au quotidien, animent la vie artistique et littéraire, les associations qui avec des moyens modiques encadrent cette fine fleur. Non ! C’est plutôt l’occasion d’être reconnaissant envers les copains d’ici et d’ailleurs ensuite car il faut absolument rendre l’ascenseur. C’est plus pratique et moins contraignant enfin, sauf que c’est la mise en œuvre de la politique du gouvernement qui en prend un coup, est foulée au pied laissant les objectifs très loin derrière au bénéfice de la corruption, du népotisme, de la calomnie. C’est à travers les ondes de la radio à très grand ramdam de saupoudrage et de publicité mensongère qu’on découvre les acteurs qui quasiment sont les mêmes qui vont et qui reviennent chaque année. Que voulez-vous qu’on dise puisque c’est aussi des camerounais, des camerounais à part entière ! Que voulez-vous qu’on dise puisque ce sont d’éminents savants, des éternels grands auteurs ! Avant eux, il n’y avait rien et après eux, il n’y aura rien et pour bien faire les choses, on interpelle certains lauréats du concours jeunes qui ont affiché leur curiosité en leur demandant de venir à Yaoundé sans prise en charge car il n y a rien. Et pourtant, les auteurs en réalité, ne demandent qu’à être associés, conviés, dans la forme la plus cordiale à leur évènement pour en faire une foire populaire. Le fichier national des auteurs est disponible, connu depuis l’opération visant à leur recensement, ce n’est donc pas faute de ne pouvoir disposer des éléments d’appui mais d’une volonté claire de nuire. La voilà donc notre culture fade, qui stagne, enlaidit par les frasques de certains fonctionnaires véreux, frappés pour les uns d’interdiction de sortir du territoire, qui manifestement ne mesurent pas le mal profond qu’ils font à tout un peuple. Un gap qui s’élargit davantage chaque jour et qui aura du mal à se refermer. Et les autres qui continuent impunément à prendre en otage un domaine aussi chaleureux. Ne nous parlez plus de la Direction du Livre et de la Lecture cheville ouvrière de l’organisation du Salon du Livre de Yaoundé(SILYA) entre autres, ne nous parlez pas de la Commission des Arts et Lettres, la fameuse CALL, le mouroir de toutes les ambitions, de tous les rêves d’artistes, tous logés au sein du ministère des Arts et de la Culture du Cameroun ! La Société des Poètes et Artistes du Cameroun (SPAC), de mémoire organisatrice du festival Africa poésie en a fait les frais, conséquence, la troisième édition de ce festival panafricain après Abidjan et Yaoundé n’aura pas lieu au Sénégal. En réalité, Il n’y a jamais rien, rien que les yeux pour pleurer face à un tel désastre, une telle pauvreté d’esprit, un potentiel qui s’enlise au profit des intérêts communautaristes, des choix de réseaux. Les artistes qui ne savent plus où donner de la tête. Que devient un peuple sans culture, alors que la culture c’est ce qui nous reste quand on a tout perdu ? Cette question lancinante nous emmène à survoler subrepticement le registre du droit d’auteur, du droit d’auteur et du droit voisin, dont la collecte et la redistribution sont le pilier central pour faire vivre notre culture. Une volonté des pouvoirs publics matérialisée à travers le comité d’assainissement mis en place par le Premier Ministre Chef du gouvernement sous haute instruction du chef de l’Etat, dans la filière du droit d’auteur en général, en particulier de l’art musical et la confection du Fichier National des ayants droit prévu par le décret n 2015-3979-PM du 25 Septembre 2015 a découlé le 06 Avril 2017, sur des propositions de mesures consensuelles c’est-à-dire regroupant toutes les différentes tendances désormais, en vue de la mise en place et en conformité à la nouvelle réglementation des Organismes de Gestion Collective(OGC) dans plusieurs catégories du droit d’auteur. La preuve, ces mesures d’apaisement et de consensus ont donné lieu à la constitution de la Catégorie E, du droit d’auteur et du droit voisin, de la catégorie D, des Arts graphiques et plastiques et de la Catégorie A, littérature, arts dramatiques, arts dramatico-musical, chorégraphique et autres arts du même genre. Cinq catégories constituées et entérinées depuis Juillet 2017 soit bientôt un an par l’élection par les différentes Assemblées Générales des Présidents et vices Présidents des Conseils d’Administration. Les dossiers soumis pour la demande d’agréments n’ont jamais abouti jusqu’ici sauf ceux de deux sociétés on va dire en conflits ; la Société Nationale Camerounaise de Musique (SONACAM) et la Société des droits voisins du droit d’auteur(SDV) créées sous l’égide du Ministre des Arts et de la Culture le Pr Narcisse MOUELLE KOMBI. Notons qu’il y a eu trois ministres de la Culture qui ont créé chacun une société de droit d’auteur dans l’Art musical pour ne pas les citer : le ministre Léopold Ferdinand OYONO, Ama TUTU MUNA et maintenant Narcisse MOUELLE KOMBI. Un bras de fer s’est toujours opéré entre les principaux belligérants autour de la question de la gestion du droit d’auteur dans l’art musical qui perdure encore jusqu’à nos jour empêchant systématiquement les autres organismes de se déployer et s’affirmer aisément. Il faut remonter au mois de mai 2008 pour comprendre, la crise politico – judiciaire qui a secoué le milieu musical, concernant l’affaire CMC entendez la Cameroon Music Corporation notamment, pour ne pas remonter plus loin. Tout est parti de la convocation d’une Assemblée Générale de la CMC le 10 mai à Yaoundé. Les travaux qui se sont déroulés dans un contexte très tendu, ont abouti à la réélection de Sam Mbende comme Président du Conseil d’Administration de la CMC, malgré le trouble d’une frange des artistes. Ces derniers avaient contesté violemment les élections, mais n’avaient pas réussi à empêcher leur tenue. Et pour cause, le ministre Ama TUTU MUNA avait notamment dénoncé, les malversations financières de l’équipe dirigeante. Selon elle, il y avait « une situation financière déplorable, le personnel et de nombreux créanciers non payés ». Le ministère de la Culture avait alors mentionné un passif de 567 millions de F CFA doublé à la non communication du bilan des comptes de l’année 2007 de la CMC. De même, le PCA était soupçonné d’avoir détourné une partie de la somme de 100 millions de FCFA, attribué par les Brasseries du Cameroun au titre de redevance. Cette somme devait être répartie entre trois sociétés de droits d’auteur du pays ; la SOCILADRA, la SCAAP, la CMC. Et donc l’artiste Sam Mbende était vite monté au créneau pour déclarer qu’il ne se reconnaissait pas dans les dénonciations sus citées. Ils ont donc intenté une procédure devant la chambre administrative de la Cour Suprême au lendemain de sa dissolution par le MINCULT, laquelle chambre a ordonné la recevabilité des demandes de sursis à exécution, et également la suspension des effets de la décision N 0088 –MINCULT- Cab prononcée le 12 mai 2008 par le MINCULT portant retrait d’agrément à la CMC et la décision N 0089-MINCULT-Cab du 15 mai 2008 du MINCULT portant nomination des membres du comité ad hoc chargé de la gestion des affaires courantes de la CMC. Une fois de plus c’est tout le système qui s’en trouve paralysé à cause d’une administration par embuscade où nos fonctionnaires véreux, trouvent visiblement un intérêt à bloquer un processus, normal puisqu’ils n’ont aucune pression, percevant régulièrement leur salaire à la fin du mois et tant pis pour les autres, les artistes car comment comprendre que les Organismes de Gestions Collectives en soient là. Eux qui ne sont pas censés dépendre de l’Etat en tant que société civile et qui ne demandent qu’un agrément pour fonctionner, s’organiser en corporation. Des ayant droits réduits à la mendicité, qui ne peuvent plus être rétribués, bénéficier du fruit de leur labeur, un personnel dans les quatre coins du pays en chômage technique, des impayés de loyer. Le paysage culturel Camerounais aujourd’hui présente un tableau assez sombre. Une association peut se prévaloir du statut d’un Organisme de Gestion Collective, des individus peuvent prendre sur eux de freiner l’action et les efforts de tout un gouvernement sans souffrir de représailles, sans être indignés ; c’est le règne de l’insolvabilité.

CAMEROUN:  LA CULTURE S’EFFONDRE
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