MON INTERVIEW POUR JEUNE AFRIQUE - QUESTIONS DE GEORGES DOUGUELI

1- Au regard de la montée des revendications ethno-régionalistes observées ces dernières années au Cameroun, qu'est-ce qu'être Camerounais ?

Nous avons une lecture bien différente de ce qui se passe au Cameroun, ce que nous voyons se derouler ces derniers jours n’est pas selon moi une ‘revendication ethno-régionale’, car n’oublions pas que l’opposition politique institutionnelle, le SDF, dans notre pays a sa base politique dans la zone anglophone, et que John Fru Ndi, le leader historique de l’opposition camerounaise, est anglophone tandis le président de la république, Paul Biya, est francophone. Ce que nous voyons est donc plutôt un chapitre, un autre, d’une demande de changement devant la centralisation du pouvoir instituée au Cameroun exactement le 4 février 1984, par trois décrets extraordinaires et bien précis, qui ont fabriqué l’Etat que nous avons. Je dirai donc que depuis ce jour-là, autant il y’a un processus centripetal de centralisation de l’Etat, autant il y’a une continuité centrifugale, vraiment rectiligne aussi, de quête d’une nouvelle république dont le vocabulaire le plus clair est anglophone bien sûr, à cause de la tradition d’une republique différente qu’ont vécu les Anglophones pendant quelques dizaines d’années, mais qui, à la différence des années 1990-1993 dites ‘années de braise’, se manifeste aujourd’hui sous une conjoncture internationale vraiment défavorable. Il n’y a pas de vent d’Est pour porter ces revendications au niveau international, ni d’ailleurs de printemps arabe, ce qui fait qu’au bout d’un an d’activisme, ce qui est vraiment long pour un mouvement non-violent, elles se sont plus ou moins recroquevillées.

2- Existe-t-il une identité nationale camerounaise ?

Le Cameroun est encore trop jeune pour déjà avoir une identité fixée. Je dirai donc que c’est en formation, et la formulation de celle-ci ne peut pas échapper au côté central de Foumban, pas tant de la dynastie de Nchare Yen qui y règne que des textes qui y ont été produits, les premiers ouvrages de la pensée camerounaise, les premiers textes de loi, les premiers ouvrages de pharmacopée, et même un ars erotica. J’y ajouterai évidemment des bâtisses comme le palais du sultan, aujourd’hui musée. Manière de dire que c’est parce qu’en Foumban le Cameroun a ce que l’Allemagne a en Weimar, et en des personnalités comme Njoya, Nji Mama, Nji Ibrahim, a trouvé ses premiers scripteurs, que l’on peut parler d’un sous-bassement qui relie cette terre inventée par les Blancs et recomposée plusieurs fois par eux sans notre avis, et lui donne une ame qui par adaptation et par cooptation se fabrique un destin historique. Les ‘pères fondateurs’ de l’Etat camerounais, y compris d’ailleurs Um Nyobè et Moumié, ne se sont pas trompés quand ils se sont toujours référés à Foumban, parce que c’est là que repire l’âme de ce pays que sont ses humanités, mais évidemment historiquement, l’identité camerounaise est en formation perpétuelle.

3- Quels sont les marqueurs de cette identité ?

Les marqueurs historiques de l’identité d’un peuple, ce sont toujours les grandes tragédies. Ce ne sont pas des moments heureux, hélas. Pour ce qui est de l’Etat du Cameroun, j’en trouve trois. Le premier évidement c’est le génocide commis contre les Bamiléké entre 1960 et 1970, culminant sur l’exécution d’Ernest Ouandié. En dessous de ce moment théâtral au cours duquel l’Etat s’est affirmé sur un cadavre, il y a eu bien sûr des milliers d’arrestation, des fosses communes, mais surtout, et c’est cela qui est important, il y’a eu les cérémonies du cadi qui ont fait des Camerounais preter serment à l’Etat du Cameroun pour justement l’affirmer. Le second moment, c’est l’exécution de centaines de Nordistes les 4 mai 1984 à Ebolowa. Second moment, qui, lui, s’est confondu avec l’installation de l’Etat centralisé, plutôt francophone, et l’intronisation de la tyrannie qui est contestée le plus clairement comme j’ai dit plus haut, à partir de la zone anglophone. Le troisieme moment, evidemment c’est ces jours-ci, avec les massacres du 1 octobre 2017 qui nous ont montré soudain la répétition de ce qui a eu lieu deux fois déjà, où l’Etat soudain se retourne contre une partie de sa population pour s’affirmer à leurs dépends avec violence. Les listes des morts, des arrêtés, des disparus sont exclusivement anglophones, comme en 1984, elles etaient exclusivement nordistes, et entre 1960-1970 vraiment exclusivement bamiléké. A quelques exceptions prêt, bien sûr.

4- Au delà de ce qui divise les Camerounais, qu'est-ce qui les unit ?

Ce qui unit un peuple, de maniere viscérale, ce sont ses humanités et son histoire. Ses humanités, parce que c’est ce qui fait de nous des êtres humains, et pas des animaux, des gens qui se reconnissent muluellement comme faisant partie d’une communauté, surtout dans un pays où, dans les langues maternelles bien souvent l’etranger c’est celui d’une autre tribu. Mais ce qui unit le peuple encore plus, c’est le tragique de son histoire qui, ainsi lui fabrique un destin commun. Chacun de nous devrait de ce fait être préoccupé paar la téléologie de la violence qui se dessine ainsi pas à pas dans le squelette de l’Etat camerounais, je veux dire cette tendance de l’Etat, après dix ans comme ça, à se retourner contre une partie toujours differente de sa population pour s’affirmer à ses dépends. Cette dynamique fabrique une peur qui, si elle maintient le peuple sous une epée de Damoclès perpétuelle, si elle lui donne ses barrières de possibilités, lui fabrique un futur cadenacé qui l’effraie. Uni dans la peur, le peuple devient tatillon, rapide à choisir le départ, sinon la fuite devant son destin historique, et donc quand il reste, se soumet trop facilement à la tyrannie. C’est une unité négative je dois le dire, mais c’est elle qui a une durée plus longue que les moments de fête comme les victoires de Lions indomptables qui sont des feux d’artifice, et pas des épousailles historiquement sanctifiées, et mémorables par des stèles républicaines.

INTERVIEW DE PATRICE NGANANG PARUE DANS JEUNE AFRIQUE
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